Jean-Marie DALLET
Paris, FR
Artiste et professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne en art, nouveaux médias et interactivité.

Biographie
Jean-Marie Dallet est artiste, commissaire d’expositions et Professeur des universités à l’École des arts de la Sorbonne, Paris 1. Il est codirecteur du Master pro en alternance Industrie Management Art & Industries Créatives.
Il a exposé ses œuvres et ses recherches en France (biennale Artifices, Villette Numérique, Cité des Sciences et de l’industrie, Le Fresnoy, Le Confort Moderne, Faux mouvement, Le LAIT, etc.), en Belgique (biennale Update), en Autriche (festival Ars Electronica), au Canada (ISEA), au Japon (biennale ICC), etc.
Son travail théorique et plastique interroge les notions d’interactivité et les figures qui en organisent les interactions, questionne l’archéologie des médias et s’intéresse aujourd’hui aux questions politiques, artistiques, pédagogiques liées aux réseaux internet et aux plateformes.
Il a récemment dirigé la publication de l’ouvrage Cinéma, interactivité et société (Université de Poitiers et CNRS, 2013), Architectures de mémoire (Presses du réel, 2019), ainsi que le catalogue de l’exposition dont il était le commissaire, Mémoires vives. From Nam June Paik to SLIDERS_lab (Lannoo, 2019).
Jean-Marie Dallet est membre du collectif d’artistes SLIDERS_lab qui prend en compte un territoire esthétique émergeant autour des images animées, de la mémoire, de l’archivage et du numérique. Une démarche qui s’étend actuellement aux formes contemporaines de représentations et de navigations dans les collections audiovisuelles.
Les réponses de Jean-Marie Dallet
Jean-Marie Dallet, je suis artiste et je suis aussi professeur des universités à l’Université Paris – Panthéon-Sorbonne. Mon champ, c’est celui de l’art en général et plus particulièrement mon champ d’expertise c’est le champ des nouveaux médias, de l’interactivité que j’ai rencontré au début des années 90.
Une formation en créative media est pertinente aujourd’hui, elle l’est depuis déjà longtemps, on pourrait dire que jeunes artistes, aspirants artistes, j’ai rencontré une exposition qui s’appelait Les immatériaux et qui était donc dirigée par Jean-François Lyotard. C’était 84-85 et Jean-François Lyotard avait écrit en 1979 la « condition postmoderne » et déjà s’annonçait le monde d’aujourd’hui, c’est-à-dire un monde numérisé. Il a annoncé ce changement de paradigme où les savoirs seraient aussi numérisés et donc seraient économiquement rentables. Il a annoncé ce qu’on appelle les ICC, donc aujourd’hui, c’est d’autant plus vrai que le monde a totalement basculé, le monde du numérique aujourd’hui, mais personne ne pourra le nier. Et ce nouveau monde même, même si « nouveau », il faut, comme je vous l’ai dit, relativiser puisque c’est déjà depuis les années 60, fin des années 70, appelle de nouvelles compétences, de nouveaux savoirs et surtout des transmissions de connaissances qui permettent justement à des jeunes gens de se former sur les secteurs de l’image, images fixes, images, mouvements, images en 3D avec des professionnels, que ce soit dans la création, que ce soit dans la programmation, et que ce soit dans le management.
Il y aurait quatre termes pour moi, il y aurait la création. Il y aurait l’univers aussi de la programmation qui est un univers complexe en évolution. L’univers du management et l’univers du droit.
Pour moi, il y a une chose qui serait très importante, en tout cas, dans ces questions, c’est plutôt la question des savoirs initiaux au départ et surtout la question de la culture.
Je pense qu’aujourd’hui, il faut intéresser les jeunes gens à l’histoire des arts au sens large : l’histoire des arts, ce n’est pas simplement une l’histoire de la peinture et de la sculpture, mais c’est aussi l’histoire du cinéma, l’histoire de la photographie. Aujourd’hui, ce serait aussi l’histoire des jeux vidéo. Je pense qu’il faut avoir cette palette de connaissances pour arriver justement à ouvrir les esprits pour permettre justement l’invention.
Ensuite, les savoir-faire sont plus ou moins connus, il y a beaucoup de savoir-faire qui touchent aux métiers de l’image. Donc la manipulation de certaines applications, que ce soit dans le cinéma, la vidéo, etc… Je ne vais pas les citer, mais elles sont connues. Une suite très célèbre qui en regroupe certains. Mais après, si on prend du côté du jeu vidéo, on a certains logiciels plus spécifiques pour créer des mondes. Donc, effectivement, il faut développer ces savoirs faire pour que les jeunes gens puissent les manipuler et être accompagnés par des professionnels, par des artistes, je précise, pas simplement par des techniciens, mais par des artistes qui vont arriver justement à donner des sensations et pas simplement des connaissances. Une pratique, oui, mais une pratique sensible. Donc ça, c’est très important. Ensuite, pour ce qui est des capacités à concevoir, effectivement, ça, c’est un peu la partie du management. Et donc, il faut arriver à ce que tout de suite, avec les gens un peu en configuration de travail en équipe pour qu’ils arrivent à se parler. Parce qu’on voit bien que le vocabulaire de quelqu’un qui est plus attiré par la peinture ou par le cinéma, ou par le dessin ou par le jeu vidéo ou par la programmation, n’est absolument pas le même. Donc, il faut qu’il y ait une espèce de langage commun. Et plus ils travaillent tôt ensemble, plus ils vont arriver à découvrir ce langage et à progresser. Et puis après, les projets sont en équipe, donc c’est important. Pour ce qui est de la capacité à réaliser, c’est quelque chose qui n’est pas facile à transmettre, parce que moi, j’ai travaillé avec quelqu’un dans les années 90, qui s’appelait Jean-Louis Boissier, qui était un commissaire d’exposition, mais aussi un professeur qui était le premier à faire des expositions d’art interactif, expositions pas festival. Et il me disait toujours : Il y a des gens qui n’arrivent pas à finir. Et ce qu’il appréciait chez moi, je crois que c’était aussi cette capacité à finir les choses, de les finaliser. Alors, comment transmettre cela? Ça, c’est un vrai défi qu’ont les équipes pédagogiques, parce qu’il y a des gens qui ne savent jamais finir. On peut, on peut parler de Proust, par exemple, on sait très bien que si on n’avait pas arraché le manuscrit de la recherche du temps perdu des mains de Proust, il serait encore aujourd’hui en train de travailler dessus. Donc je pense que c’est aussi l’environnement, le contexte de travail qui fait qu’à un moment donné, on a des dates précises qui cadrent un peu le travail. Et il faut avoir autour de soi des gens qui managent et qui disent « bon bah là c’est bien, on arrête là. ». Parce qu’un créateur ne finit jamais.
Donc, l’évolution des creative médias, c’est toujours difficile, je dois pas être le seul à penser cela, à essayer d’imaginer l’avenir parce qu’on est plongé dans un contexte qui est déjà en mutation.
Je pense qu’aujourd’hui, pour avoir participé à plusieurs concours internationaux, où on a sélectionné des jeunes artistes. Les intelligences artificielles, par exemple, j’ai vu beaucoup de jeunes artistes qui mettent en scène des intelligences artificielles. Je pense que c’est quelque chose qui, aujourd’hui, est à développer.
Après, il y a la question des robots. Les robots sont de plus en plus présents et sont autour de nous, on les voit pas trop, mais cette question des robots est une question qui arrive et qui se développe déjà.
Je pense à la question de l’interactivité, forcément, qui est une question essentielle parce qu’il ne s’agit pas simplement de mettre en place une technique qui réagit. Mais on voit bien que la question des interfaces de la construction de mondes à toucher ou à explorer, fait partie d’un nouveau langage, d’une nouvelle ergonomie, comme on dit chez les designers, qu’il est essentiel de développer et de faire comprendre aux jeunes apprenants.
Ensuite, il y a un dernier point sans doute, c’est la question du développement des mondes 3D. On parle beaucoup des multivers, c’est quelque chose qu’on va développer dès demain.
Pour ce qui est des révolutions technologiques, je l’ai un peu abordé tout à l’heure. Je pense que dans tout le domaine de la robotique, des intelligences artificielles, des mondes 3D, on voit bien qu’aujourd’hui, il y a chaque année des générations de casques nouveaux qui apparaissent aujourd’hui sans fil. On a même vu un constructeur proposer des formes de lunettes 3D etc. Donc on sent bien qu’il y a une agilité, une technicité qui est à l’œuvre et qui est très réjouissante, je trouve pour l’invention, en tout cas.
Après, pour les mondes conceptuels. J’ai aussi abordé un peu tout ce nouveau langage, ce nouveau vocabulaire qui est né au début des années 90 avec l’action des interfaces. On n’oubliera pas puisqu’on ne les voit plus, mais toutes l’invention avec les CD-ROM qui ont finalement créé des manières de consulter des livres numériques différents, qu’on retrouve aujourd’hui dans nos iPhones, dans les livres qu’on peut dire « augmentés ». Tout ça, ce sont des langages qui sont nés et qui vont continuer à se développer. Parce que, qui dit nouvelles technologies, nouvel outil. Je préfère le mot « outils » à « technologies », on engramme, on va continuer finalement la transmission des connaissances antérieures à travers ces outils et donc on va augmenter les langages.
Et d’un point de vue conceptuel aussi aujourd’hui, si on parle d’invention, moi, je parlerai. Alors ça, c’est tout un, tout un discours sur justement les mondes dans lesquels on va. Aujourd’hui, on nous prédit de toute manière qu’en 2030, c’est la catastrophe, catastrophe écologique, catastrophe sociale. Les robots, sociale, écologiques, la crise du CO2. Aujourd’hui, on pourrait dire qu’on prépare des jeunes apprenants aux « creatives medias » et qu’on devrait intégrer des questions de géoéconomie, de géotechnique, c’est à dire comment l’écologie va rentrer dans ces technologies là et comment, finalement, cette pression du milieu, cette pression urgente, va nous modifier. Et ça, je dois vous avouer qu’aujourd’hui, j’en parle, quelques-uns en parlent et qu’on ne voit pas de solution globale. Donc ça va beaucoup changer dans les 10 ans à venir.
Si j’avais à employer des personnes de ce master, oui, avec grand plaisir. Pourquoi ? Parce que le grand problème des organisations, c’est qu’elles manquent de souplesse. C’est à dire que si on travaille avec un secteur design, si on travaille avec un secteur ingénieur, si on travaille avec un secteur commercial, en fait ce qu’il manque, c’est ce qu’il y a au milieu, c’est-à-dire le vide. Ce sont ces personnes que créent ce type de formation, c’est-à-dire des gens qui sont à la fois des managers à la fois, des créatifs à la fois, des ingénieurs qui comprennent les langages. Donc, dans ces collectifs, ils sont essentiels. C’est des rouages essentiels.
Qu’est ce qu’on pourrait inventer de plus? Qu’est ce qu’on pourrait mettre à l’épreuve de plus pour augmenter ce type de formation ? C’est difficile et je pense que pour revenir à ce que je disais tout à l’heure sur cet avenir à dix ans. Je pense donc ce qu’il faut inventer aujourd’hui, c’est augmenter la capacité des jeunes apprenants à travailler ensemble, à être en collectif, à ne pas rester, disons, comme on dit avant la révolution copernicienne, égocentré. Il faut justement perdre ce « centrement ». Il faut se décentrer parce qu’on va avoir besoin de créatifs pour justement travailler avec d’autres corps de la société pour améliorer justement la manière dont on va combattre ces questions écologiques.
Quand je dis la question écologique, on ne combat pas l’écologie, mais comment on va combattre justement pour améliorer le monde?