Fabien ZOCCO
Lille, FR
Artiste en art numérique travaillant sur la question du texte et des objets en mouvement, diplômé de l’ÉESI de Poitiers en 2012 puis du Fresnoy – studio national des arts contemporains – en 2016. Intervenant à Paris VIII ArtTeC, Paris I et à l’Université de Valencienne dans le Master “Humanités Numériques”.

Biographie
Fabien Zocco explore le potentiel plastique de la dématérialisation informatique, des applications et autres logiciels.Jouant des infinies possibilités offertes par le réseau digital, il reprend les icônes de la culture populaire numérique et l’esthétique virtuelle, pour créer des architectures, des formes ou des récits futuristes.
Non sans une pointe de dérision, il interroge notre rapport aux nouvelles technologies qui ont envahi notre quotidien et sonde notre rapport au virtuel. » (Sonia Recasens, catalogue Jeune Création 2014).
Son travail a notamment été présenté en France (Le Fresnoy, FRAC Poitou Charentes…), au Mexique (Institut Français d’Amérique Latine, Mexico), au Canada (galerie de L’UQTR, Trois-Rivières), en Pologne (programme A-I-R, Wroclaw), en Belgique (Transcultures, Mons) et en ligne (The Wrong – New digital art biennale).
Fabien Zocco est diplômé du Fresnoy-Studio National des Arts Contemporains (2016, félicitations du jury).
Les réponses de Fabien Zocco
Je m’appelle Fabien Zocco, je suis artiste, je suis diplômé de l’EESI de Poitiers en 2012, ainsi que du Fresnoy Studio national des arts contemporains en 2016. En tant qu’artiste, je travaille dans le champ qu’il est convenu d’appeler des arts numériques, principalement selon deux directions, à savoir que je développe un travail autour de la question du texte. Un autre travail autour de formes qui pourrait s’assimiler à des sculptures robotiques, à des objets en mouvement et qui mettent en œuvre un questionnement sur ce qu’il advient quand on donne des capacités de mouvement à des objets.
Et au-delà de ça, j’ai une activité d’enseignement de manière ponctuelle à Paris 8, au sein du master Artec ainsi que l’année prochaine à Paris 1 et l’année précédente à l’Université de Valenciennes, dans le cadre d’un master d’humanité du numérique, et je vis à Lille.
Dans cette association dans l’intitulé, une notion de créativité et de média me semble intéressante, qui plus est, compte tenu des champs que je développe moi-même, et qui sont usuellement également au-delà du terme arts numériques, et sont aussi qualifiés d’œuvres d’art médiatiques, d’art médias.
C’est, me semble-t-il, effectivement une définition qui a le mérite d’être plutôt ancrée dans une certaine contemporanéité, dans le sens où le développement de la technologie induit effectivement des formes de création et des formes de partage ainsi que de consommation d’images qui passent par le média, que ce soit un ordinateur, un smartphone ou tout type de « device » dit numérique, qui rentre aujourd’hui dans cette sorte de grande organologie qui prévaut à la création, à la fabrication, à la circulation et à la contemplation de tout type d’images fixes, animées, virtuelles, indicielles, etc…
Donc, il y a effectivement une formation de l’enseignement supérieur, qui pourrait se focaliser un peu sur ce bouillonnement, cette sorte de contexte au sein de la vie des images dans le champ social au sens très large, aujourd’hui, c’est un peu l’enjeu d’une formation qui s’intitulerait « créative média » et qui me semble d’une actualité assez juste.
Ce qui me semble vraiment important à ce niveau-là, c’est d’arriver à conjuguer et à articuler une dimension évidemment technique des maîtrises de la construction de ces images, comment on les met en forme, comment on les fait naître simplement parce que, comme en liaison avec ma réponse précédente, il y a une dimension technologique, et donc une nécessité de maîtrise des outils, qui est évidente aujourd’hui. Enfin, comme ça a toujours été le cas, mais qui aujourd’hui est renouvelée avec tous les outils numériques dans la mise en place de ce que l’on que l’on va appeler des images aujourd’hui au sens très large. Mais ce qui me semble extrêmement important, c’est justement de pas non plus uniquement se focaliser sur cette dimension technique, mais également de développer une réflexion et une connaissance plus historiques et théoriques autour des images. Parce que faire des images, c’est important, mais savoir ce qu’on en fait ça l’est tout autant, c’est un aspect qui, pour moi, est vraiment extrêmement important et fondamental. Cette articulation entre les procédés de fabrication les plus concrets des images et la manière dont, finalement, qu’est-ce que ces images vont dire ? Comment vont- elles être diffusées ? Comment vont-elles être circulées ? Comment les nouveaux modes de circulation des images changent d’une certaine manière, la nature et la réception, évidemment, de celles-ci ? Et comment tout cela s’articule en fait et compose finalement une situation sociétale globale ? C’est vraiment cette articulation technique et théorique qui me semble vraiment primordiale.
Il y a pour moi une maîtrise implicite qui est nécessaire, des formes de création d’images, donc ça peut être aussi de la prise de vue photographique, donc des images assez traditionnelles, jusqu’à des formes infographiques 3D ou des images en réseau, les images programmées qui seront un peu, on va dire, les images fixes et les images en mouvement. Tous ces régimes d’images qui, aujourd’hui, composent un peu le panel des images numériques.
Connaître un minimum, voire plus, les environnements de production de ce type d’images. Donc, cette dimension est plutôt technique.
Après connaître aussi, justement, les différents supports, une image qu’on la regarde sur son smartphone, qu’on la regarde vidéo projetée, qu’on la regarde sur un écran d’ordinateur, ça change énormément de choses, et dans sa fabrication mais aussi dans la lecture qu’on va en avoir. Et donc, voilà, il y a toute une articulation à dire, une chaîne technologique à comprendre, un workflow qui va de la production jusqu’à la réception, cette articulation sur le plan technique me semble importante.
D’autre part, comme je le disais, il y a aussi tout un corpus de l’histoire des médias, de la sociologie des médias et de l’histoire de l’art, l’histoire des images qui me semble important de connaître et de maîtriser un minimum pour, encore une fois, avoir une certaine conception de quoi faire et quelle est le destin, finalement, de ces images qu’on a mis en place. Aujourd’hui, on va dire entre un film institutionnel et un compte Instagram, par exemple, il y a une palette d’environnements qui, pour moi, sont importants à maîtriser, autant les uns que les autres. D’une certaine manière, parce que les choses se passent autant sur Instagram que sur, par exemple, des régimes de consommation d’images ou de démonstrations d’images plus officielles ou plus ancrés dans une certaine réalité. Mais voilà justement cette capacité de pouvoir passer d’un espace à un autre et d’avoir une vision critique aussi, de comment sont montrées les images me semble important, Donc, encore une fois, cette articulation entre une dimension technique et une dimension théorique là encore me semble important.
Comme les modes de production des images mobiles, dans le sens où il y a une évolution extrêmement rapide, voire en phase d’accélération par certains aspects. Comment penser une formation dans sa capacité à s’adapter justement à une évolution extrêmement volatile et extrêmement rapide des images ? Il ne s’agit pas de former des étudiants à maîtriser uniquement des technologies à un instant T, mais il faut aussi leur donner la capacité de pouvoir acquérir des compétences à l’instant T +1, parce qu’à partir du moment où on rentre, on va dire, dans cette logique, le monde ne cesse de bouger. Il faut aussi rentrer dans une logique de mouvement qui suivrait un peu les mouvements du monde, sans pour autant non plus devenir uniquement passif par rapport à ces mouvements. Encore une fois, c’est là aussi où se joue la dimension d’avoir un outil critique qui permette aussi de questionner cette sorte de fuite en avant, d’une certaine manière aussi. Mais malgré tout, il faut être en mesure, techniquement et conceptuellement, de pouvoir intégrer cette sorte de grand flux en accélération perpétuelle.
Au sein des médias numériques, il y a une forme de paradoxe étrange dans le sens où, d’une certaine manière, il y a à la fois des choses qui vont très vite et qui accélèrent très vite et presque de manière contradictoire des choses qui, en même temps, restent relativement ou finalement bougent assez peu, ou même avec des formes de retour. Par exemple, l’engouement pour la VR depuis quelques années, rejoue une certaine manière, quelque chose qui s’était déjà passé dans les années 90. Il y a comme ça des sortes de bouclage, c’est l’étrangeté de la vie des médias, de l’archéologie, des médias, on va dire qui fait que ce n’est pas non plus une histoire si linéaire que ça qui tendrait vers une accélération continue et progressive. Il y a des jeux comme ça d’aller/retour qui sont assez intéressants et qui ont même un intérêt de plus en plus vif pour les médias dits morts ou archaïques, on parle maintenant d’une dimension un peu vintage de certains médias. Je pense justement dans le champ de la 3D, par exemple.
Ce n’est pas mon cas, à moi, mais je vois pas mal de travaux passés avec des esthétiques qui rejouent un peu avec un âge pionnier de la 3D des années 80 90, qui sont très contemporaines et très intéressantes. Donc, il y a vraiment quelque chose comme ça, une sorte de pluralité presque paradoxale, de chevauchements de temporalités. Justement, c’est quelque chose qui se mesure à partir du moment où on a un tant soit peu une notion historique de ces belles images, qui ne sont plus si mobiles que ça d’une certaine manière. Après, dans le champ plus strictement de l’art contemporain, là où je me situe effectivement, cette pluralité du coup de connaissances et de maîtrises des environnements de production et des images au sens large est forcément un atout et une carte plus importante pour justement pouvoir à la fois produire un travail qui implique la fabrication d’images, en tant que tel, mais aussi avoir un regard critique esthétique autour de ces mêmes images.
Ce qui est paradoxal en ce qui me concerne, c’est que finalement, il y une mise au second plan, finalement de la notion d’image dans mon travail, dans le sens où, finalement, depuis quelque temps, je me concentre plutôt sur le texte, qui peut évidemment être lu sur écran. Et puis, je m’intéresse de plus en plus à l’objet, donc à l’objet robot, et finalement à des formes d’art technologiques, mais qui font rentrer d’autres champs de compétences et de création.
Ce qui me semble se dessiner justement comme tendance à l’avenir, c’est une sorte de mixité, un peu entre beaucoup de choses, à la fois des formes dites archaïques, des formes anciennes en termes de temporalité historique, et des formes beaucoup plus contemporaines. Et des choses qui vont de l’objet, je pense aujourd’hui à tout ce qui se passe avec les objets connectés, l’internet des objets, les objets à comportements et ce qui se passe dans les écrans.
Donc je pense qu’il y a aussi une sorte de « répansion » de ce qu’on appelle communément le numérique, qui est en train de déborder de l’écran d’une certaine manière, et je pense que beaucoup de choses vont se jouer là-dessus. Par exemple, ce qui me vient à l’esprit, c’est le cas des textiles dits « intelligents », il y a énormément de choses qui se passent dans ce type de champ de recherche qui sont finalement des manières de déborder du strict environnement écran qui reste, évidemment, très, très présent. Mais voilà, je pense qu’il y a quelque chose qui se joue à ce niveau-là d’une sorte d’infusion du numérique à travers des environnements qui n’était pas le sien, en tout cas, pas son environnement d’élection jusqu’à présent. Et je pense que ça va être une tendance qui va potentiellement prendre du poids encore plus dans les temps à venir.
Typiquement, l’intelligence artificielle, c’est quelque chose que j’utilise en tant qu’outil pour produire des contenus souvent plutôt sémantiques, je ne l’utilisais pas trop pour faire de l’image, mais plutôt pour faire du texte. En même temps, c’est l’usage d’un outil avec un regard critique sur aujourd’hui : qu’est-ce ce que l’intelligence artificielle dans le champ sociétal ? À la fois quelque chose qui va du phénomène de mode, avec des choses extrêmement triviales parce que l’intelligence artificielle, c’est quelque chose qu’on peut trouver quand on se connecte à son compte en banque en ligne pour pouvoir converser avec un agent virtuel qui va nous guider pour s’y retrouver, jusqu’à des questionnements d’ordre anthropologique et philosophique vaste sur le devenir de l’humanité. Donc, il y a une dimension comme ça dans l’IA qui est extrêmement large et d’une ultime focale, on va dire. Pour moi, l’IA, c’est à la fois quelque chose qui est un outil, mais qui est aussi un sujet, une certaine manière de travailler et ça illustre justement cette articulation entre un savoir faire technique, dans le sens où, effectivement, ça passe pour moi, (EX : comme mes robots), et des phases de code pour mettre en place leur mode de fonctionnement. Mais en même temps, c’est aussi un objet social et esthétique, donc il faut avoir un outillage historique, esthétique, conceptuel pour pouvoir avoir une vision plus vaste que la dimension technique de cet objet, c’est-à-dire en quoi l’IA ou la robotique aujourd’hui, résonne et fait sens, au sens esthétique, évidemment, mais également politique, sociétal, anthropologique, etc…Quelque part, c’est une illustration, encore une fois, de ce que je disais sur les réponses précédentes.
Pour ce qui est de l’usage du code. Pour ma part, effectivement, et là, ça va aussi illustrer quelque chose que j’ai dit auparavant sur ces questions un peu de la “répansion” du numérique à travers des environnements qui n’étaient pas le sien jusqu’ici. Mais en fait, c’est tout l’enjeu de mon travail quelque part, le seul dénominateur commun à mes pièces aujourd’hui, c’est qu’elles procèdent à un endroit d’une dimension, d’une écriture qui fait intervenir le code informatique. Mais cette écriture peut très bien aboutir en une installation vidéo projetée à partir d’un logiciel, que dans un objet en robotique en mouvement, que dans un film dont les dialogues ont été générés par une intelligence artificielle, que dans une édition livre papier qui va présenter un texte généré par une IA. Encore une fois, ça illustre comment, à partir de ce langage central, on va dire du numérique, qui est le code, des formes, des objets d’une nature extrêmement hétérogène peuvent se retrouver comme réceptacle dans cette démarche d’écriture.
Ça m’arrive fréquemment de travailler avec d’autres personnes sur des thématiques et des compétences extrêmement ciblées. Quelque part, en fonction de l’endroit, qui peut recouvrir un éventail assez vaste, allant d’une compétence spécifique pour la mise en place d’éléments, dont moi je ne maîtrise pas la mise en œuvre technique, la 3D, par exemple, qui ne fait pas partie de mes compétences techniques. Mais auquel je pourrais très bien avoir besoin dans le cadre de ma pratique. Ça peut être des compétences qui iraient dans ce terme de prestations, et pour le coup, je serais assez attaché effectivement, à la fois à une qualité technique dans le savoir faire, mais aussi dans une capacité conceptuelle, on va dire, de façon à aussi pouvoir non pas être juste dans une relation d’exécution de tâche, ou je demanderais à quelqu’un de faire exclusivement un travail technique, même si évidemment, ce serait l’objet principal, mais aussi d’avoir une capacité de discussion autour de la dimension dont relève l’intervention de la personne.
Moi, je crois assez peu au fait de former uniquement des techniciens. Aujourd’hui, la complexité des choses fait que des techniciens sans aucune compétence d’ordre général ou plus culturel, on va dire, me semble assez risqué, je le vois pour en avoir discuté justement avec des ingénieurs, par exemple, ou comme j’enseigne dans des masters en université, de voir aussi les organigrammes de formation, de certaines formations. C’est quelque chose qui est de plus en plus recherché. En tout cas, il y a toujours cette dimension à un endroit, souvent dans les formations techniques, d’amener aussi une dimension plus sciences sociales, et là encore, ça me semble, quelque chose sur lequel falloir insister.
Me semble-t-il, le fondement même d’une démarche artistique dans sa conception contemporaine, c’est sa capacité à entrer en résonance avec une réalité qui est celle du monde dans lequel on vit. Comme je le disais, l’IA aujourd’hui c’est un sujet, on ne peut plus actuel. Donc à partir de là, c’est à la fois, et c’est bien évidemment légitime de le traiter dans l’artistique, mais ça implique, de facto, une réflexion en conséquence de la part des artistes qui vont s’emparer de cette thématique.