Eric VIENNOT
Marseille, FR
Game designer et auteur de projets transmédias, cofondateur du studio Lexis Numérique où il officie en tant designer graphique et directeur artistique, pionnier français de l’ARG (alternate reality game).

Biographie
Eric Viennot, est l’un des game designers français parmi les plus réputés. Il a établi sa renommée par des concepts de jeux innovants, basés sur des partis pris narratifs forts, et comme pionnier des jeux transmédia. Parmi ses créations les plus connues, on peut citer les Aventures de l’oncle Ernest, La Boite à bidules, In Memoriam 1 et 2 et Alt-Minds.
- Formation d’arts plastiques à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne (Maitrise, Capes, Bi-admissible à l’Agrégation)
- Enseignant en arts plastiques à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne (De 1986 à 1993)
- Artiste plasticien au sein du groupe Equipage 10 (De 1981 à 1986)
- Co-fondateur et directeur de création du studio indépendant Lexis Numérique pendant 24 ans
- Plus de 8 millions de jeux vendus pendant cette période dont la célèbre série Alexandra Ledermann, Expérience 112, Les Pooyoos, Red Johnson’s Chronicles…
- Auteur des séries de jeux à succès Les Aventures de l’Oncle Ernest, La Boite à Bidules, In Memoriam et le thriller interactif et transmédia Alt-Minds
- Concepteur transmédia, game designer et directeur artistique free lance depuis 2014
Les réponses de Eric Viennot
Bonjour, je m’appelle Éric Viennot, je suis game designer, auteur de projet transmédia.
Tout dépend évidemment ce qu’on entend par « créative média», mais ce que vous m’en avez expliqué, ce que j’en ai compris, c’est qu’effectivement, on voit bien qu’il y a une nouvelle tendance assez globale qui va vers un type de contenu qui mélange les médias, que ce soit dans un but narratif, que ce soit dans un but éducatif.
On voit qu’il y a de plus en plus d’auteurs, de créateurs qui font des projets qui sont très différents de la façon dont on travaillait avant les films, les séries, voire même les jeux, il y a encore une quinzaine ou une vingtaine d’années. Donc, cette tendance je la suis, pour en avoir été peut-être, un des pionniers, il y a justement, une vingtaine d’années.
Donc je la suis avec beaucoup d’intérêt, mais on voit qu’elle est très multiple, qu’elle va dans pleins de sens différents. C’est ce qui en fait sa richesse, mais en même temps la difficulté pour des créateurs de suivre et de maîtriser ses outils. Souvent, on confond d’ailleurs le transmédia avec une espèce d’accumulation de choses et c’est un peu le piège, le danger.
Pour que ce soit accessible au grand public, il faut souvent bien maîtriser les outils, bien maîtriser la façon dont on peut les activer, soit séparément, soit simultanément sans pour cela tomber dans des espèces d’usine à gaz. Et donc, je pense qu’effectivement, c’est une discipline qui mérite d’être enseignée aujourd’hui dans des écoles, des écoles d’art aussi bien que des écoles d’audiovisuel.
Je vais vous donner un exemple qui a été créé et que j’ai supervisé il y a trois ans, qui est un énorme dispositif transmédia qui a été créé pour le département de l’Aude, en France. Donc, c’est un département qui est très riche culturellement puisqu’il contient un ensemble de monuments, datant du Moyen ge et qui sont des abbayes très connues, dont certaines sont très connues comme l’abbaye de Frontfroide près de Narbonne. Et puis des châteaux qui sont eux aussi très réputés, comme le château de Bergues ou de Quéribus, ce qu’on appelle les forteresses du vertige parce qu’elles sont vraiment situées tout en haut de montagne, assez vertigineuses. Et puis, évidemment, au centre de ça, la cité de Carcassonne, mondialement connue pour ses remparts et son château. Le département de l’Aude, nous a demandé, il y a donc quatre ans, de réfléchir à un dispositif transmédia ou nouveaux médias, comme on préfère, qui permettrait non seulement d’attirer les touristes dans le département, mais surtout de les engager à rester le plus longtemps possible. J’ai préconisé de mettre en œuvre des techniques de jeu, qui ressemblent un petit peu à un mix entre Pokémon Go, des jeux in situ qu’on joue dans les différents monuments du département. Et en parallèle, le même jeu mais qui est jouable à distance, qui est une sorte de jeu de collection, ce qu’on appelle du craft d’objets pour composer des objets qui vont servir aux joueurs pour construire un village fortifié, ce qu’on appelle un castrum, un village typique du Moyen ge de cette époque. Et l’enfant, puisqu’il s’agit justement d’engager des enfants, à distance, que ce soit à Paris, Strasbourg ou même à l’étranger vont pouvoir collecter des objets, des objets qui, en s’assemblant vont lui permettre de construire son castrum. C’est évidemment inséré dans une histoire avec des personnages pour rendre tout cela beaucoup plus immersif et beaucoup plus narratif, donc c’est inséré dans une histoire qui va lui permettre, à cet enfant, de comprendre par le jeu, les enjeux de cette époque, notamment cette fameuse bataille entre les croisés et les Cathares qui étaient pourchassés, voire brûlés par les croisés de cette époque.
Voilà donc, on a créé un système assez riche qui était constitué d’un jeu, d’une application, et ce jeu, notamment, permettait aux enfants, quand ils rentraient dans la cité de Carcassonne, permet toujours parce que ce jeu est toujours en activité, d’inciter leurs parents à aller dans le château, à compléter leur visite. Et comment on fait ? C’est simple, l’enfant commence à jouer et puis, il y a des principes d’engagement qui font qu’à un moment, il a envie de continuer. Et pour continuer, il est obligé d’aller dans certains monuments, c’est à dire qu’il y a des objets rares, des objets comme dans Pokémon, des objets rares qui ne sont accessibles que dans certains monuments et pas dans d’autres, donc qui vont inviter l’enfant et ses parents à visiter ces différents monuments. Donc, on voit qu’il s’agit d’une narration assez complexe qui met en œuvre du jeu, qui met en œuvre des photos, des vidéos. Parce qu’il y a aussi une application, je dirais plus classique, qui est une application touristique. Et donc, tout ça est un dispositif qui représente, à mon sens beaucoup de projets dans les années à venir, des projets culturels, des projets artistiques ou des projets touristiques voire même des projets sociaux. Des choses qui vont permettre à des créateurs de communiquer avec un large public, que ce soit dans des musées, des monuments ou, pourquoi pas, aussi, partout dans la rue. La rue devient elle-même un terrain de jeu.
Justement ses compétences, elles sont multiples, je pense qu’il faut connaître d’abord des principes liés aux nouveaux médias que sont Internet, les réseaux sociaux, voire même les médias immersifs comme la VR, la réalité augmentée. On voit bien que ce sont des médias émergents qui vont se populariser et se multiplier dans les années à venir. Donc, il faut connaître tous ces médias. Il faut savoir quelles sont leurs spécificités, comment ils peuvent se compléter d’une certaine façon. Je pense que c’est indispensable de connaître aussi des principes qui viennent du jeu vidéo parce qu’on voit bien que le jeu vidéo est au cœur de pas mal de ces nouveaux médias. On voit que le jeu influence aujourd’hui même la narration de certaines séries télé, par exemple. Donc, il faut connaître certains principes de game design. Et puis, il faut surtout comprendre comment on produit ces objets-là. On ne produit plus aujourd’hui, comme on produisait il y a vingt ans ou même il y a encore dix ans.
Je pense qu’on est vraiment aujourd’hui dans des principes très itératif où l’on teste, on doit tester, quand on a un concept dans la tête tout de suite, essayer de le mettre en forme à partir d’un prototype. Et puis, ce prototype va itérer, on va le tester avec un public cible. On est dans des nouveaux modes de production qui me semblent totalement éloignés de la façon dont on produisait des films, dont certains aujourd’hui, produisent des films qui sont des « process » beaucoup plus itératifs et beaucoup plus agiles que ce qu’on imaginait il y a quelques années.
On est aussi, quand on est auteur, créateur, beaucoup plus dans un mode de travail collaboratif. C’est fini, je pense, l’époque de l’auteur qui décidait de tout comme on l’avait dans le cinéma, par exemple. On est dépendant de la technique, donc on est beaucoup plus dans un mode de travail collaboratif avec d’autres personnes et un dialogue qui est indispensable entre les métiers de la technique. En gros, les ingénieurs, les développeurs informatiques, et puis, les métiers plus artistiques qui sont les métiers de la narration, de la réalisation audiovisuelle ou du game design, par exemple.
C’est toujours un exercice difficile de prévoir le futur, mais on peut quand même partir de signaux faibles, comme on dit. Notamment des signaux faibles qui sont apparus il y a déjà quelques années. Je parlais de Pokémon Go, on voit bien que les médias, avec l’explosion du téléphone mobile. On est vraiment passé sur des contenus mobiles avec la possibilité, grâce aux mobiles, de pouvoir sortir de chez soi, de pouvoir sortir des écrans traditionnels, qu’étaient les écrans de télé et de cinéma pour aller dans différents lieux. Avec la géolocalisation, avec la possibilité d’utiliser la réalité augmentée, avec la possibilité de pouvoir mixer des contenus Internet et des jeux, ça c’est déjà apparu, mais je pense que ça va devenir de plus en plus populaire et avec notamment l’arrivée de la 5G qui va permettre peut-être d’avoir, en plus de ces contenus qui existaient précédemment, encore plus de dimension immersive avec, pourquoi pas, la possibilité d’utiliser la VR, in situ avec la possibilité d’avoir des vidéos beaucoup plus facilement, etc.
On voit qu’une grosse tendance est d’amener l’utilisateur, le joueur, en dehors de chez lui, dans des lieux divers.
Deuxième tendance, c’est effectivement la VR. On voit que progressivement, la VR commence à intéresser le grand public. Donc, est-ce que c’est justement grâce à ces technologies mobiles, qui vont évoluer vers de plus en plus de puissance qu’on va pouvoir toucher le grand public ? Ça, c’est une question. Voilà. En gros, après, il y aurait pleins d’autres sujets qu’on pourrait aborder dans un horizon plus lointain qui sont l’intelligence artificielle. Des choses qui vont évidemment modifier considérablement le jeu vidéo et les médias en général. Parce qu’on voit même qu’aujourd’hui, l’intelligence artificielle est une aide à l’écriture. On voit des musiciens qui créent des musiques avec des IA. On voit de plus en plus d’images créées avec des IA, voire même des films. Donc, on voit que l’IA va être, dans les années à venir, une technologie qui va jouer un rôle considérable dans la façon dont on crée des contenus et dont on utilise du contenu.
Je vois bien, en enseignant à l’INA par exemple ou à l’ENJMIN, une génération de gens qui sont nés avec ces nouveaux médias, pour qui Internet est un média aussi naturel que pour nous, la télévision ou le livre étaient à notre époque. Donc on voit bien que ces jeunes connaissent de manière intuitive ces nouveaux médias, notamment les réseaux sociaux. Mais parfois, ils pensent les connaître et en fait, ils n’ont pas forcément un usage critique, c’est-à-dire qu’ils les subissent, plus qu’ils n’arrivent à les connaître.
En ce moment, je développe un projet autour d’une newsletter. J’essaie de créer une communauté. Je suis indépendant, j’ai quand même une société et ça pourrait être effectivement une personne qui connaîtrait la façon de désigner une communauté. On en n’a pas parlé, mais un projet de crowdfunding, la façon de faire à la fois la communication et en même temps de développer un projet, ça, c’est des profils qui, à mon avis, vont être très recherchés dans les années qui viennent. C’est-à-dire, à la fois des gens qui sont dans la communication digitale, dans les réseaux sociaux et en même temps, dans la capacité de créer des contenus qui interagissent avec tous ces médias.
Je ne connais pas le Mexique, mais je pense que c’est un pays qui est tourné vers le tourisme de par son passé culturel. Je pense qu’il y a des contenus à créer autour de ce patrimoine historique, tout en amenant des contenus interactifs, on vient d’en parler, sont riches d’innovations pour un public qui pourrait venir visiter des sites ou qui s’intéressent aussi à distance. Parce qu’on voit bien que le tourisme aussi va être impacté par la crise du Covid. Donc, il y a aussi des moyens de faire revivre les monuments à travers ces nouveaux médias qui sont la VR, par exemple, qui permettrait à distance de pouvoir visiter une pyramide maya ou de pouvoir raconter des histoires autour de ce patrimoine. C’est une idée comme une autre, mais c’est la première idée qui me vient.