Éric PRIGENT

Tourcoing, FR

Coordinateur deuxième année Le Fresnoy, Studio national des arts contemporains, établissement de formation, production et diffusion artistique au travers des rencontres «Panorama ».

Biographie

Après des études d’arts plastiques à l’Université de Haute-Bretagne Rennes 2, il est enseignant pour le compte du service culturel de l’Ambassade de France au Maroc, où il travaille également dans le domaine du graphisme et de la création.
Il est également diplômé de l’Institut d’Etudes Européennes de l’Université Paris 8 dans le cadre d’une recherche sur l’émergence des technologies multimédia et ses conséquences pour la création et la diffusion artistique et culturelle.
De 1993 à 2001, il intègre le Centre International de Création Vidéo (Montbéliard), résidence d’artistes et centre d’art et de recherche spécialisé dans les technologies numériques. Il y est successivement en charge du développement régional puis responsable de projets et d’événements multimédia et directeur de la communication.
Depuis 2002, il est coordinateur pédagogique de la seconde année au Fresnoy, consacrée à la création numérique.
www.lefresnoy.net

Les réponses de Éric Prigent

Nous sommes un établissement qui dépend de l’enseignement supérieur, du ministère de la Culture, et on vient compléter les grandes écoles d’art nationales en France, ENSBA, les Arts décoratifs, la Fémis pour le cinéma et l’Ecole nationale supérieure de la photo d’Arles. Et le projet du Fresnoy, c’est un projet qui a été pensé en 87, pour ouvrir en 97 et qui s’interrogeait sur la relation entre les technologies et l’art. On reçoit ici les artistes du monde entier, il y avait à peu près 53 nationalités au dernier concours, et on a une spécificité qui est donc, dans un cursus particulier, de proposer à de jeunes artistes de créer des œuvres, en fait une œuvre chaque année. On a un cursus de deux années. La première année est consacrée à la photographie, au cinéma et à la vidéo. Et la deuxième année, que je coordonne, elle est consacrée à la création numérique sous toutes ses formes et c’est là que ça rejoint vos interrogations concernant ce projet de master, c’est à dire que c’est une sorte de parcours, finalement, qui est proposé à de jeunes artistes qui, pour entrer au Fresnoy, ont soit le bac et sept années d’expérience professionnelle à tester, soit le bac et déjà un master, donc un master en école d’art, en université, etc. Et cette double possibilité de rentrer au Fresnoy, ça facilite aussi les parcours qui sont un peu singuliers et qui nous intéressent aussi. Une autre particularité c’est qu’au fresnoy, il n’y a pas d’enseignants permanents, mais des artistes professeurs invités reconnus nationalement et internationalement qui interviennent régulièrement auprès de nos jeunes artistes. Nous avons une année qui est organisée de manière très particulière puisque octobre et novembre, on est sur l’écriture du projet sous la direction de l’artiste commissaire invité de l’équipe pédagogique et ensuite, les équipes techniques et de production, on valide ce projet en décembre. Ces projets entrent en production au mois de janvier et se finalisent donc à la mi juin, comme c’est le cas aujourd’hui, où on va finaliser 24 projets d’étudiants de première année, 24 projets d’étudiants de seconde année et ensuite, d’autres projets, qui peuvent être étudiants, invités, scientifiques-invités. Et ce qu’on produits, ce sont des formes tout à fait diverses ça peut être des films, ça peut être des vidéos, ça peut être de la photographie, une performance, un dispositif immersif, de réalité virtuelle, de réalité augmentée, un film entièrement fait en images de synthèse, un film en compositing, vraiment toutes les formes, en fait.

Effectivement, si j’entre maintenant de manière un peu plus directe dans nos préoccupations. Une fois que cette œuvre est créée, elle est présentée ici dans une manifestation publique et professionnelle, qui s’appelle « Panorama ». Le 23ème « Panorama » aura lieu à partir du 24 septembre (2021 ndlr.) et ensuite, c’est un grand rendez vous professionnel aujourd’hui et aussi un rendez vous au public. Et ensuite, ça fait aussi partie de la singularité du lieu, c’est de diffuser au niveau national et international, local et régional toutes les œuvres y sont produites ici. Autre et dernière spécificité, c’est que l’on met des moyens en place, il y a une équipe ici de 39 personnes et chaque jeune artiste bénéficie d’un budget de 8400 euros pour produire une œuvre. Ce qu’il faut savoir c’est que finalement, on apprend ici que l’enseignement se fait à travers la production très concrète d’un projet, de son élaboration et de sa conception initiale, donc de ses enjeux artistiques et conceptuels jusqu’à la première présentation professionnelle à « Panorama », donc au Fresnoy et en dehors ensuite, puisque au niveau de la diffusion, à peu près 550 lieux dans le monde ont diffusé des œuvres sortant de cette maison l’année dernière.

En quoi une formation de Master en Creative Media vous paraît aujourd’hui pertinente ? La réponse est forcément oui. Évidemment, nous, on rentre plutôt dans la catégorie, réalisateurs ou réalisatrices et qu’effectivement, de par leur formation au Frenoy, les jeunes artistes qui sont ici utilisent ces médias et parfois, c’est la première fois qu’ils le font. Du coup, le fait d’avoir une formation et ce type de formation avant, c’est aussi intéressant puisqu’on maîtrise à la fois des enjeux artistiques et conceptuels. Je pense que c’est très important d’avoir aussi une véritable pratique des outils que l’on utilise, c’est une de nos caractéristiques, c’est une invitation aussi à explorer des outils.

Quelque chose qui est absolument essentiel. C’est surtout la question de la veille, à la fois la veille technologique et à la fois la veille artistique. Tout dépend après ce qu’on entend par réalisateur, nous au Fresnoy nous défendons la notion d’auteur et les gens qui ont un propos, un propos artistique. Parce qu’aujourd’hui, la question des industries créatives, en fait, elle a tendance à un peu tout amalgamer et rend tout le monde un peu auteur. Je pense que ce n’est pas le cas et c’est pour cela qu’il faut, je pense, être très attentif à ce qui se passe dans la création contemporaine au niveau de l’utilisation des médias aujourd’hui, dans n’importe quel secteur d’activité de la création, que ce soit le cinéma et pas strictement le cinéma d’animation, que ce soit le champ de la danse, le champ du théâtre, le champ des arts plastiques et le champ de l’opéra. Ce sont des territoires assez merveilleux d’expérimentation, justement, et de la relation entre la technologie et la création. Et je pense que dans une formation, même une formation peut être plus différente, évidemment, de ce qui est fait ici au Fresnoy, je pense qu’il faut absolument avoir cette veille là, savoir aussi ce qui se passe, de mesurer tous les enjeux, y compris les enjeux critiques des technologies aujourd’hui. Pour ma part, ça doit faire entièrement partie d’un cursus de formation.

Je dirais que c’est le mélange des quatre items que vous citez, l’acquisition des savoirs, les savoir-faire, une capacité à concevoir et à réaliser. Ce qui est important, c’est l’aspect recherche lorsque l’on fait un projet créatif. La question des savoirs est aussi à mesurer à l’aune des compétences et des prérequis qui sont demandés dans le cadre de son master. Mais c’est toujours intéressant de faire des propositions d’approfondissement, d’élargissement d’un champ créatif plus ou moins maîtrisé. Et je pense aussi que c’est une vraie notion, c’est la transversalité entre tout ça. Je pense que c’est aussi important de connecter cela à la réalisation d’un projet professionnel qui, je pense, rentre dans le cadre d’un master également à l’œuvre. Donc par rapport à la question des savoirs, effectivement, tous les aspects conceptuels, artistiques, historiques sont à prendre en compte, ainsi que l’analyse critique. Voilà un peu ce que je peux répondre ici très rapidement.

Comme nous sommes dans le secteur de l’art contemporain et comme je disais tout à l’heure en réponse à une autre question, il se passe beaucoup de choses au niveau de l’utilisation des technologies numériques dans la création. C’est un de nos enjeux ici au Fresnoy, mais il n’y a pas que nous à faire ça. C’est un des enjeux de la création tout court et c’est pour cela que cette veille est absolument indispensable. Voilà donc une formation de master a beaucoup d’intérêt. Évidemment ça nous concerne moins, puisque les étudiants qui viennent ici ont déjà un master.

Je dirais que c’est incessant et que le haut niveau technologique en tout cas, de par cette veille là, forcément, les artistes vont prendre en considération les techniques concernées, vont les interroger aussi de manière critique comme j’ai dis tout à l’heure, c’est très important et ils vont effectivement les expérimenter. Il y a encore deux ou trois ans, nous n’avions pas ici de projet artistique dédié, par exemple l’intelligence artificielle ou faisant appel à elle. C’est le cas depuis déjà trois ans. Dans le secteur du traitement de l’image, des technologies community permettent de créer des films en images de synthèse de manière totalement différente de l’imagerie avant. Le recours à la photogrammétrie est aussi du même ordre. Ce qui nous interroge aussi, c’est la dimension esthétique qui est systématique et peut parfois être apportée par cette technologie en question. Par exemple, la photogrammétrie et les nuages de points, c’est toujours la même esthétique visuelle. Et quand on travaille effectivement dans le champ de l’art et de la création, on cherche plutôt à trouver des singularités. Du coup, le développement des technologies et leur dimension, notamment visuelle, quelque chose qui nous questionne énormément ici, je pense qu’il faut vraiment en tenir compte. Pourquoi? Parce que sinon, on a des projets totalement standardisés et totalement formatés.

Ce sont des créatifs et des artistes qui ont créé un portfolio d’œuvres convaincantes, tant dans ce champ-là, on serait très heureux, on est déjà d’ailleurs lié au Mexique par plusieurs artistes mexicains qui ont fait un parcours ici au Fresnoy. Du coup, on sera toujours intéressé, évidemment, par les nouveaux parcours créatifs qui peuvent être mis en avant.

C’est toujours intéressant d’inviter des artistes, ça c’est sûr, et surtout les artistes qui ont un point de vue totalement différent par rapport à l’air du temps ou par rapport à ce que même les industries créatives pourraient imposer. Je pense que la perturbation dans la pensée et les points de vue ne fait qu’enrichir les choses. C’est ce qui se passe ici, par exemple au Fresnoy, de par la relation Arts et sciences, forcément, on travaille avec des technologies qui certaines sont numériques, mais qui peuvent être émergentes et que forcément, c’est très intéressant de voir comment un artiste, même au sein d’un laboratoire de recherche, va complètement modifier les chaînes et les schémas de pensée. Et ça, je pense que ça à aussi une dimension extrêmement créative qui convient d’intégrer même dans le cadre d’une formation de type master.