Don FORESTA
Paris, FR
Directeur du projet « art et média » au centre culturel américain à Paris (1971-1976) et premier échange « télématique » avec le Center of advanced visual studies du MIT en 1981, puis à la Biennale de Paris (1982) et Venise (1986). Créateur du premier département « art vidéo, informatique et réseau » à l’ENSAD en 1976. Créateur du réseau MARCEL.


Biographie
Don Foresta est un artiste chercheur et un théoricien des arts utilisant les nouvelles technologies comme outils de création. Spécialisé en art et science, son livre « Mondes Multiples » sorti en 1990 a été parmi les premiers à parler de la relation entre les deux. Il a été professeur à l’Ecole Nationale Supèrieure des Arts Décoratifs – Paris et à l’Ecole Nationale Supérieure d’Arts – Paris/Cergy et un research fellow à la London School of Economics. Il a passé 40 ans à transformer le réseau comme outil artistique et travaille présentement à la mise-en-place d’un réseau permanent haut-débit, MARCEL, dédié à l’expérimentation artistique, éducative et culturelle www.mmmarcel.org et qui compte maintenant 350 membres. Il a initié ce projet alors qu’il était artiste/professeur en résidence au Studio d’Art Contemporain au Fresnoy, à Lille et chercheur de l’Arts and Humanities Research Council au Wimbledon School of Art à Londres. En 1981, il a réalisé son premier échange en ligne entre the Center for Advanced Visual Studies du MIT où il était fellow et the American Center à Paris où il était directeur du programme Media Art. En 1986, Commissaire de la 42e Biennale de Venise, il a réalisé le premier réseau d’ordinateur utilisé par les artistes. Il a reçu de la Sorbonne un Doctorat en Sciences de l’Information et un Master’s de Johns Hopkins School of Advanced International Studies. Il a également été nommé Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres par le Ministère de la Culture français et possède la double nationalité américaine et française. Foresta est membre d’un groupe de réflexion, GRAMHONA, au Collège de France.
Les réponses de Don Foresta
Je travaille depuis très longtemps sur l’art et la technologie, surtout au début, c’était la vidéo dans les années 70. J’ai été directeur du Centre culturel américain, entre 71 et 76, où je présentais pour la première fois en France l’art vidéo. Après, en 76 j’ai été demandé par l’ENSAD (École nationale supérieure des Arts Décoratifs) pour créer un département de “l’art vidéo”. J’ai travaillé avec ça (la vidéo), bien sûr, dans les années 80, c’était un peu vers l’informatique et aussi le réseau.
J’ai fait un premier échange entre le centre américain à Paris et MIT (Massachusetts Institute of Technology), en 81, qui était ma première expérimentations avec la télématique comme espace pour l’art. Et depuis, je suis resté avec ça en suivant toute l’évolution technologique dans la télécommunication. Avec la Biennale de Paris en 82, avec la Biennale de Venise en 86 où j’ai créé un réseau informatique en utilisant les Mac et les modems et à partir de ça, je restais avec IP, avec Internet Protocole comme notre base.
Et encore une fois, j’étais obligé de suivre l’évolution de la technologie et la possibilité qui était toujours très, très limitée. Mais quand même, on a réussi à faire des expériences assez intéressantes. Aujourd’hui, cette technologie atteint la hauteur de nos rêves. Pour la première fois, on continue d’expérimenter. On commence à créer notre propre plateforme pour l’expérimentation artistique, pour occuper une partie de réseau, comme un espace de création, comme un espace d’échange et de création interactive.
Comme j’ai dit, finalement, on a rêvé des possibilités de réseau depuis les années 80. Mais la technologie était toujours bien en retard, en retard de nos rêves, comme j’ai dis. On a imaginé des choses qui étaient techniquement impossibles à l’époque, même quand on était un peu avancé en France. Ce qui est bon en France, on avait les premiers réseaux numériques qui étaient à l’époque Numéris, qui était une technologie qui était introduite en 87. Et on a travaillé avec cette technologie assez systématiquement pendant très longtemps. Pendant à peu près presque 15 ans en groupant les lignes, on a utilisé par exemple, pendant les années 80, cinq lignes Numéris. Il y en avait trois pour la vidéo et deux pour le son. Et on a réussi à travailler, par exemple avec le musicien en temps réel et quand j’ai tenté de faire quelque chose de plus que la musique, par exemple, je crois que c’était 93 avec la danse, c’était impossible. Les tuyaux étaient trop limités et on ne pouvait pas. Bon, maintenant, on a des tuyaux beaucoup, beaucoup plus importants. Qui veut dire qu’on peut imaginer d’expérimenter d’une façon beaucoup plus complexe.
Je crois que la formation doit aller dans 2 sens, il y a toujours une technologie à faire évoluer, ce qui veut dire qu’il y a une formation technique ingénieur qui est extrêmement importante. Et il y a bien sûr l’expérimentation artistique fondamentale et les deux doivent travailler vraiment en commun.
L’interaction sur laquelle je travaille maintenant, c’est vraiment d’amener les métiers artistiques, surtout de performance, le théâtre, la musique, la danse dans l’espace des réseaux, ce qui veut dire qu’il y a une partie d’apprentissage pour comprendre comment on peut amener ces métiers dans cet espace virtuel de réseaux, parce que ce n’est pas évident. Et dans ce sens-là, les projets qu’on est en train de monter en France et aussi en Angleterre sont des projets de travailler avec les gens du théâtre, par exemple.
Comment peut-on amener les métiers du théâtre dans ce nouvel espace qui est l’espace du réseau?
Nous voulons travailler avec les gens qui ne sont pas spécialistes technologiques, mais qui sont plutôt des spécialistes du théâtre pour leur montrer le potentiel et pour identifier les outils nécessaires pour faire leur métier dans l’espace du réseau. Dans ce cas, ça, c’est une partie fondamentale de la pédagogie de l’avenir. Et bien sûr, il y a un développement technique en parallèle. Quand on peut identifier les besoins techniques venant des spécialistes non techniques, on va comprendre quels outils sont nécessaires.
Souvent, dans les écoles d’ingénieurs, il y a déjà un problème présenté et il faut trouver la solution et c’est vraiment le contraire qu’on cherche. Un autre élément que je peux dire dans la pédagogie, c’est l’histoire. Bon quand on suit toute cette évolution que j’ai vécue depuis 40 ans maintenant. On commence à comprendre comment des choses peuvent évoluer et je crois que l’histoire de cette expérimentation artistique avec les moyens de communication, de télécommunication, il y a vraiment les leçons qui sautent aux yeux.
On voit, effectivement, on a tenté ça parce qu’on avait un objectif artistique et pas un objectif technologique. Et cet objectif artistique ne pouvait pas être poursuivi par les limitations techniques à l’époque. Et on apprend beaucoup. Et pour moi, ce qui est arrivé dans les années 90, c’était un détournement du potentiel qui existait. Parce que tout ce qu’on appelle aujourd’hui les réseaux sociaux qui sont pour moi une perversion du potentiel qui existait dans les années 80. Moi, je dis toujours que j’étais optimiste de télécommunications des années 80, qui s’étaient arrêtés brusquement dans les années 90, quand c’était pris par le commerce et limité. Et on est en train de vivre avec un truc qui est socialement quasiment dangereux et qui n’était pas du tout dans l’imagination artistique des années 80. Dans ce cas, j’aimerais bien revenir à ça et je crois qu’on peut revenir à ça en suivant l’histoire, l’histoire de la création artistique avec la télécommunication.
Et ça, c’est un élément qui est probablement assez essentiel dans la pédagogie, car on cherche à monter. D’abord toutes ces formes d’art, les arts vivants, et ils ont quand même une longue tradition où les métiers existent depuis très longtemps. Par exemple, avec le théâtre, il y a les metteurs en scène, les comédiens. Il y a des écrivains, il y a des scénographes, l’éclairage. Il y a tous ces métiers qui ne sont pas nécessairement des métiers qui utilisent la technologie et qui utilisent l’informatique, sauf de plus en plus, aujourd’hui, ça, c’est sûr. Mais il faut vraiment apprendre quels outils sont nécessaires dans ce nouvel espace, et ce n’est pas si nouveau que ça. Mais bon, on peut toujours dire ça et de vraiment créer ensemble les outils nécessaires pour travailler alternativement dans cet espace. Et comme j’ai dit, c’est quelque chose qui doit exister en parallèle, où il y a ce dialogue permanent entre les métiers artistiques et les métiers techniques, et pas uniquement du réseau. Mais tout ce qui est autour de l’informatique, de la programmation, du développement… Parce que tous les outils du réseau qui existent, même l’outil que l’on est en train d’utiliser maintenant, il s’arrête à la connexion et c’est bon. C’est mieux que ce qu’il en était il y a même deux ans. Mais ça ne suffit pas de se connecter. Il faut avoir les outils pour travailler ensemble. Et ça, ce n’est pas encore le cas.
Dans une forme pédagogique pour faire comprendre aux gens qu’on est loin, bien sûr, on peut connecter beaucoup de monde, en multipoint. Mais on ne peut pas travailler ensemble. Notre notion de l’espace virtuel maintenant est super limitée, comme j’ai dit. On s’arrête à la connexion et on peut faire beaucoup, beaucoup plus de choses avec ses connexions. On a certainement le débit nécessaire. Ça ce n’est plus un problème, mais il faut vraiment expérimenter cet espace avec beaucoup plus de conférences en ligne. Il faut vraiment trouver un moyen d’amener les gens, à penser beaucoup plus profondément à des potentiels, à l’interactivité, l’interactivité en temps réel. Et je crois que c’est ça la chose la plus importante devant nous, maintenant.
On ne sait pas !
Les gens demandent toujours une finalité et on ne connaît pas la finalité de tout ça. On doit entrer dans une période d’expérimentation ouverte. Pour comprendre cet espace beaucoup mieux et surtout d’amener les non-spécialistes technologiques, à comprendre et à utiliser cet espace et il y a cette collaboration qui est absolument essentielle pour moi, sinon c’est la technologie qui impose, qui impose des règles et ça, c’est un rythme que nous voulons casser.
Parce que si on attend toujours les outils venant des autres qui ne sont pas des spécialistes d’art, qui ne sont pas des spécialistes dans les arts de performance, on sera toujours à la merci de ce développement qui est beaucoup plus long.
Par exemple, quand j’ai tenté de bosser avec les télécom, j’ai compris tout de suite que les télécoms n’étaient pas du tout intéressées par la même chose que moi parce qu’ils étaient en train de créer un produit pour le public, un produit qui allait amener de l’argent.
Et nous, c’est totalement différent. On est en train d’expérimenter. Il y a peut-être dans l’avenir, potentiellement des produits qui peuvent avoir une valeur commerciale, mais ça, ce n’est pas notre objectif. Ce qui veut dire que l’on doit travailler nous-mêmes dans notre domaine et imaginer un espace très, très différent de celui proposé par les télécoms, par exemple, pour vraiment expérimenter et voir quels outils sont nécessaires et ensemble de construire ses outils.
L’interactivité était quelque chose poursuivi par les artistes pendant tout le 20e siècle, mais certainement, c’était beaucoup plus clair dans l’histoire de l’art du XXe siècle que l’interactivité était quelque chose recherché par les artistes où les outils n’existaient pas du tout. Il y avait toujours des tentatives. C’est un peu la formule proposée par Duchamp, quand il a dit que “l’art a deux pôles, il y a l’artiste qui crée et le spectateur qui l’interprète”, et ça, c’est déjà une formule de l’interactivité qui est absolument fondamentale. Et on voit des exemples pendant toute la vingtième siècle que les gens, même s’ils étaient en train de faire explicitement ou implicitement, l’interactivité était toujours quelque chose de recherché. Comment peut- on amener le spectateur dans l’œuvre?
Et bon, maintenant, on a ce potentiel, on a les outils et il faut l’expérimenter. Mais comme je dis toujours, qu’on ait une forme d’expérimentation ouverte parce qu’on ne peut pas prédéterminer les résultats, et c’est ça qui est important et même pédagogique. Pédagogiquement, c’est très, très différent parce que ça veut dire que les profs et les étudiants sont en train d’apprendre en même temps. Et nos traditions de l’époque sont là pour donner des choses connues aux étudiants et c’est plus le cas. On invente ensemble !
Ça dépend de la personne. Ce mélange de connaissances qu’on cherche n’est pas évident. Ça, c’est quelque chose qui est à prévoir. Et je crois que c’est ça la raison de notre conversation, d’essayer de trouver la formule pour préparer les gens pour ce domaine-là. Mais le plus important, c’est vraiment que les gens puissent savoir que c’est ouvert. On ne peut pas prédire la finalité de cet espace de recherche, c’est vraiment une recherche complètement ouverte.
On est en train d’explorer cet espace avec une idée en tête, que cet espace est compatible à la création interactive en temps réel et de voir quelles sont les technologies nécessaires pour le faire. Mais on ne peut pas déterminer ces technologies d’une seule direction. C’est vraiment multidirectionnel et on doit le faire en collaboration avec tous.
C’est travaillant avec les arts de la performance.
Parce que quand j’ai démarré dans le réseau en 81 pendant 10 ans, tout ce qu’on a fait, c’était l’échange des images fixes. Dans ce cas, on a fait une espèce de cadavre exquis. Et à la fin de 10 ans, j’ai dit à mes associés “bon, on s’ennuie”, on est ennuyeux, on est toujours en train de faire exactement la même chose avec des images différentes, mais artistiquement, c’était la même formule « Cadavre exquis ». Et on a décidé, c’était en 90 de tenter de travailler avec la musique, c’était très, très compliqué, très, très difficile à cause du manque de débit.
Mais quand même, on a expérimenté, comme j’ai dit on avait Numéris à l’époque, qui nous a donné une marge d’expérimentation un peu plus large. Mais quand même, c’était extrêmement, extrêmement difficile. Mais à mon avis, c’est ça qui est important, c’est d’avoir des gens de ces métiers différents qu’il nous faut pour avancer cette expérimentation et finalement cette forme d’expression artistique. Ici, il y a plusieurs dimensions. Dans ce cas, la première dimension, c’est un travail entre le côté artistique et le côté technique.
Mais derrière ça, il y a d’autres choses aussi. Parce qu’il y a un certain comportement. Il faut apprendre. Je travaille aussi sur la notion et les idées juridiques, parce que ça aussi, c’est extrêmement important pour « Valoriser » tout ce qu’on fait en ligne.
Mais principalement, c’est cette première étape qui est vraiment de mettre ensemble le côté artistique et le côté technique.