Sabine HITIER

Angoulême, FR

Vétérante de l’animation 3D depuis 20 ans à Angoulême, actuellement directrice de FOST Studio (antenne d’Angoulême) qui officie sur de l’animation 2D (Le Sommet des Dieux, Ernest et Célestine…).

Biographie

Sabine Hitier est titulaire d’un Master d’architecture et d’un master of Art en animation 3D.
Elle travaille dans le milieu du film d’animation depuis 2001 en arborant différentes casquettes :

Celle du film d’auteur (elle a réalisé 5 courts métrages et 2 projets de série) ,
celle de l’enseignement au sein de différentes institutions (ENJMIN, EMCA, LISAA, ILOI, OBJECTIF 3D, ISART digital), et celle du travail en studio sur des projets de longs métrages , de séries TV et de jeux indépendants .

Actuellement Sabine dirige l’antenne au studio Fost à Angoulême.

Les réponses de Sabine Hitier

Bonjour, je m’appelle Sabine Hitier, je travaille dans le dessin animé 3D depuis une vingtaine d’années à différents postes dans plusieurs studios à Angoulême, et actuellement je suis la directrice de l’antenne Fost à Angoulême. Le studio Fost, qui fait de l’animation traditionnelle, est aussi un studio qui a entre autres des longs métrages à son actif. J’ai travaillé sur des longs métrages comme « Le sommet des dieux » et « Ernest et Célestine ».

Alors une formation en « creative média » au niveau master me semble intéressante parce qu’on voit que les logiciels évoluent très, très vite et par exemple, dans le dessin animé 3D. En l’occurrence, on est en train d’utiliser des logiciels qui viennent du jeu vidéo, afin d’utiliser le temps réel pour des facilités de production. À l’heure actuelle, les méthodes de production des dessins animés, par exemple, ont des modes de financement très spécifiques, et c’est difficile pour les producteurs déjà installés de changer de méthode de financement. Or, avec les nouveaux médias, les nouveaux systèmes de diffusion, il y a une nécessité de prospective, d’imagination. Il faut du temps pour ça, et des idées sur comment récupérer ou quoi raconter, comment le récupérer et sur quel support. Le niveau Master permet d’avoir des personnes qui, en faisant de la prospective en tant que champ de recherche dans des disciplines justement techniques et artistiques, seraient utiles au vu des nouveaux usages de tous les outils et de leur rapidité d’évolution.

Dans la spécialité Créative Média ce qui me semble nécessaire à avoir dans un parcours avec mon expérience dans le dessin animé, j’ai un petit peu travaillé aussi dans le jeu vidéo (très peu) mais ce qui est nécessaire, c’est d’avoir une forte compréhension de comment on raconte les choses, et quel est l’objet humain qui l’entend, les yeux, les oreilles, les mains pour les choses interactives. Donc, c’est déjà savoir raconter et comment est-ce que chaque média a besoin de se voir raconter les choses. C’est une première chose donc le scénario, je dirais propre à chacun des médias, et les méthodes de production : Comment est-ce qu’on va trouver l’argent pour fabriquer ? Puisqu’on ne finance pas du tout de la même manière tant un dessin animé que du jeu vidéo. Donc, comme ce sont des champs qui vont se rejoindre, ils vont sans doute avoir encore d’autres façons de se financer.
Évidemment, la maîtrise des outils et de la technique est nécessaire, puisque ces choses évoluent très vite et nécessitent une énorme connaissance technique qui prend du temps à acquérir. Donc ça, c’est vraiment les trois pôles nécessaires, à mon avis, à développer pour avoir une vision globale, cohérente et pour développer des projets novateurs.

À mon avis, les compétences nécessaires à avoir pour ces étudiants seraient vraiment de leur donner une culture générale. Ce qui est intéressant, c’est de leur proposer, à mon avis, qu’eux-mêmes aient une curiosité d’avoir cette veille technologique pour se tenir au courant de tous les divers produits proposés à la consommation d’images et à la démarche artistique. Parce que la consommation d’images c’est une chose, mais il y a aussi cette plus-value artistique.

Dans le milieu de l’animation dans lequel j’évolue, je vois beaucoup d’outils, en l’occurrence pour de l’animation 3D, mais même maintenant pour de l’animation 2D, étant donné que les outils 3D servent à faire des images qui ressemblent à de la 2D. On vient récupérer beaucoup d’outils du jeu vidéo, donc de visualisation en temps réel. Et il y a quelque chose qui se met en place à l’heure actuelle, qui est relatif au pipeline : Tous les pipelines de travail se modifient pour avoir du temps réel, on n’utilise plus les mêmes outils ni la même façon de travailler. Et le type d’outils à disposition est en train d’évoluer à l’heure actuelle. Et il n’y a absolument aucune maturité de l’industrie dans ces outils-là. Les personnes, qui à l’heure actuelle sortent des écoles, pourraient nous aider à savoir utiliser ces outils, à imaginer des méthodologies de travail, pour mettre en place des pipelines, de coordonner des équipes et imaginer comment est-ce que, avec une source narrative de base, on va pouvoir la dispatcher sur différents supports. Comment est-ce que l’utilisateur va réussir à obtenir ce dont il a envie. Et pour nous, dans le dessin animé, ce que l’on utilise, par exemple, est le rendu temps réel qui permet d’avoir une image sans avoir besoin de la calculer. Alors que le calcul prenait beaucoup de temps auparavant, c’est un gain financier, une flexibilité de travail et de réactivité aussi. Ces outils-là sont vraiment en passe d’évoluer et permettent, puisque ce sont des outils temps réel, d’être aussi des outils pour du jeu vidéo. Donc, potentiellement, ils peuvent former des passerelles. C’est quelque chose qu’on imagine depuis très longtemps. Est-ce que ça va le faire ou non ? Ça fait dix ans qu’on imagine que le dessin animé et les jeux vidéo vont se développer conjointement, mais on n’y arrive toujours pas encore. Les utilisateurs n’ont pas fait le pas réellement entre les deux, les jeux vidéo restent des jeux vidéo et les dessins animés restent dans les dessins animés. Sans doute que les outils vont être là et que les personnes qui savent porter les outils vont être la clé pour pouvoir basculer.

Donc, dans le dessin animé, les transformations sont souvent liées aux outils, on change à peu près tous les cinq ans, pas vraiment tous les cinq ans, on a des changements d’outils tous les cinq ans. Il y a des évolutions, je dirais plutôt. Et encore que je parle surtout de la 3D, il y a beaucoup de modifications, beaucoup de recherche et de développement dans les outils 3D. Les outils 2D sont en cours d’être matures aussi pour un système d’optimisation d’animation. À long terme, j’avoue que je ne visualise pas tellement comment ça peut évoluer parce que justement, je fais partie de ces gens qui ne visualisent pas mais qui essaient d’apprendre à s’adapter, mais c’est de moins en moins facile parce qu’il y a tellement de choses qui ont, dans ma carrière, évoluées que je n’ai plus cette flexibilité.
Je pense que dans le dessin animé, la différence d’utilisation, en fait, est que l’utilisateur final a de plus en plus d’image à consommer. Donc il y a du mouvement, des images en mouvement, de plus en plus partout, partout, partout, partout. Le dessin animé permet d’avoir de la flexibilité dans la création, de dessiner presque tout ce qu’on veut. On n’a pas besoin d’un lieu de tournage, par exemple, on le dessine et on l’a. Pour l’instant, il y a vraiment de plus en plus de besoins en images animées, quel que soit le support. Effectivement, la 5G permet d’avoir un débit d’images encore plus fluide. Donc évidemment, avec l’arrivée de la 5G, il y aura de plus en plus d’images à créer, c’est évident, les choses ne sont plus figées sur le téléphone portable. Les choses vont bouger tout le temps parce que les gens ont besoin d’avoir du contenu qui attire le regard. Ils ont besoin d’être les premiers à être vus, donc c’est évident que des images animées, il y en aura, des choses qui bougent, il y en aura de plus en plus sur de plus en plus de plateformes. Malheureusement pour la planète…

Alors, si jamais dans mon entreprise, je pouvais employer quelqu’un de ce master-là, je pense que je trouverais quelqu’un qui développerait les outils, pour permettre d’optimiser mon travail. Pour l’instant, je ne suis pas quelqu’un qui fait de la prospective. Donc, les employés que j’ai sont tous des spécialistes techniques, des techniciens en fait.

Ma compagnie étant sur une architecture traditionnelle de fabrication de dessins animés, on n’a pas encore la visualisation de l’intérêt de ce poste-là, et on est des entreprises avec beaucoup, beaucoup de salariés, donc un système pyramidal qui est assez important. Et je pense que les étudiants de master comme ça, justement, devraient être novateurs. Ils n’ont pas à être dans une société qui a déjà des méthodologies de travail parce que ce sont eux qui vont les mettre en place. J’imagine plus que ces étudiants, une fois sortis, auront à se créer eux-mêmes leurs projets, à prendre les risques et à être chef d’entreprise, ou à intégrer des entreprises qui, elles déjà, sont pluridisciplinaires et savent prendre des risques. Dans le dessin animé, on a une industrie qui a des us et coutumes déjà très figées et donc je ne sais pas du tout si ça correspond à la façon de travailler des ingénieurs.

La culture générale, la culture à l’image en général. Les jeunes que je rencontre qui sortent de l’école, savent très peu ce qui se passe autour d’eux. Ils ont une culture qui est liée à la télévision et ont peu de choses, dans le dessin animé en tout cas, c’est un champ lexical très particulier. Mais ils s’arrêtent dans le dessin animé, ils ne voient pas au-dessus, ils ne voient pas ailleurs. Or, il y a tellement de choses dans l’immersion avec des lunettes, des projections vidéos sur différents types de supports, le corps, l’espace, les gouttes d’eau, il y a tellement de choses différentes dans lesquelles l’animation pourrait se développer que souvent, je me dis qu’à propos de cette veille technologique, elle n’est pas très forte dans le dessin animé. C’est vraiment quelque chose que je regrette.

L’animation n’est pas une discipline des Beaux-Arts et les recherches philosophiques autour de l’image de l’art ne sont pas propres du tout au milieu de l’animation. Dans l’industrie, c’est correct, c’est OK comme ça. Nous, ce qu’on trouve pour l’instant, c’est bien, le fait que les gens ne soient pas plus curieux, pour notre travail, ils ont la curiosité qui nous intéresse, pour l’instant. Quand on va recruter des personnes, ils ont vu tous les dessins animés qu’il eût été possible de voir quand même. Mais ça s’arrête au dessin animé. Et c’est vrai qu’en « creative media », en revanche, ça n’est pas possible, il faut aller plus loin.