Jean-Paul FOURMENTRAUX
Marseille, FR
Enseignant-chercheur, professeur à l’université Aix-Marseille et à l’EHESS et sociologue de l’art spécialiste des cultures numériques, art/science et art contemporain.


Biographie
Jean-Paul Fourmentraux est Docteur en Sociologie (PhD), qualifié aux fonctions d’enseignant-chercheur en Sociologie et en Sciences de l’art et de la Communication.
Il est actuellement Professeur des Universités en Sociologie et Philosophie des arts et humanités numériques à l’université de Provence (Aix-Marseille). Habilité à diriger des recherches doctorales (HDR) par l’université Sorbonne Paris V, il est membre du Laboratoire en Sciences des arts (LESA – Aix en Provence) et chercheur associé à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales de Paris (EHESS) au Centre de recherches sur les arts et le langage (CRAL UMR-CNRS 8556).
Il a été auparavant Maître de Conférences (HDR) à l’Université de Lille 3 – UFR Arts et Culture et reste chercheur associé au laboratoire GERiiCO en Sciences de l’information et de la communication (depuis 2007).
Expert des relations entre création artistique et culture numérique, recherche technologique et innovation sociale, il a été chargé de recherches pour différents organismes publics et privés :
– L’Agence Nationale de la Recherche (Paris)
– Le Labex ICCA, Industries culturelles et création artistique, Paris.
– PICTANOVO, Pôle Image du Nord Pas de Calais,
– L’Institut interdisciplinaire de recherche-création en arts et technologies médiatiques (HEXAGRAM, Montréal,Québec),
– Le Cent Quatre (Établissement artistique de la ville de Paris)
– La Fondation de France (Paris)
– La Fondation Internet Nouvelle Génération (FING Paris)
– Aquitaine Europe Communication (Bordeaux)
– L’alliance Art, technologie et management (ARTEM Nancy),
Il est l’auteur de plusieurs ouvrages aux éditions du CNRS et aux éditions HERMANN, ainsi que de nombreux articles dans des revues scientifiques nationales et internationales.
Spécialités : Arts contemporains – Cultures numériques – Visual studies – Anthropologie de la communication et des médias – Internet – Espace public – Démocratie technique – Anthropologie visuelle – Sociologie et Philosophie des Arts, Sciences et Technologies – Dynamiques de coopérations interdisciplinaires – Organisations et Politiques culturelles.
Les réponses de Jean-Paul Fourmentraux
Fourmentraux Jean-Paul. Je suis enseignant, chercheur, professeur des universités à Aix-Marseille Université et à l’École des hautes études en sciences sociales de Paris, l’EHESS, mon domaine d’activité et la sociologie principalement. J’ai reçu une formation en sciences sociales, mais assez rapidement, j’ai fait de l’art mon objet et comme spécialité les cultures numériques, des relations entre arts et sciences et l’art contemporain.
Les médias créatifs numériques composent un écosystème technique et théorique qui a impacté tous les domaines de la vie sociale : le travail, l’économie, la communication, l’être ensemble, la création, les loisirs passent par le développement et l’usage de médias et technologies numériques. Or, plusieurs de ces dimensions, plusieurs dimensions de cet écosystème, relèvent de la créativité, du design, de l’art et pas uniquement de l’innovation. Qu’il s’agisse de concevoir des médias ou des œuvres, des programmes logiciels, des interfaces interactives ou qu’il s’agisse aussi de promouvoir de nouveaux contenus culturels et médiatiques et leurs usages, en imaginant des stratégies adaptées de communication, de mise en marché en public ou en société. Le domaine de l’image, particulièrement, est impacté par ces évolutions.
Mais ce n’est pas le seul puisque le son, le tactile, la proprioception, la simulation composent d’autres dimensions à prendre en compte dans l’écologie des médias numériques.
Il me semble qu’une formation en « créative média » offrirait de croiser ces différents domaines et d’en maîtriser les principales dimensions et applications, et cela semble aujourd’hui plus que souhaitable.
Pour répondre aux exigences multiples de la créativité numérique. Il me semblerait nécessaire d’envisager un parcours de formation pluridisciplinaire qui articule aux sciences de l’ingénieur la pratique artistique et les sciences humaines et sociales, à la fois l’ingénierie du numérique, mais aussi la réalisation multimédia, la création et le management des productions culturelles.
Une pédagogie privilégiée pourrait être l’approche par projets, qui permettrait de guider, les étudiants aux profils variés, dans une trajectoire d’apprentissage qui passerait par la conception, la réalisation et la valorisation de projets singuliers, individuellement ou en collaboration. La maquette d’enseignement pour éveiller à une articulation fine entre des cours théoriques, des CM ou cours magistraux, et des apprentissages techniques sous la forme de travaux dirigés, de workshops, de pratiques d’ateliers aussi, et tout cela dans le but d’un accompagnement vers une méthodologie de la recherche & création, prédominante dans ces parcours de créativité numérique.
Il me semble aussi que la connaissance du milieu professionnel est importante également et constitue une autre dimension.
Sur le plan des savoirs théoriques, il s’agirait de développer une véritable culture du numérique qui permet d’appréhender les différents enjeux philosophiques, politiques, économiques, sociaux, liés au développement et à l’usage des technologies. L’objectif serait de favoriser une pensée réflexive et critique qui pourrait être inspirée, par exemple, par la philosophie des techniques, des chercheurs comme Leroi-Gourhan, Simondon, Stigler, tout autant que par l’histoire culturelle, mais aussi par l’économie, la sociologie, la communication ajustée à ce nouveau milieu, qu’on pourrait dire technoscientifique, qu’incarne aujourd’hui le numérique. Sur le plan pratique cette fois, le master pourrait déployer une méthodologie d’apprentissage focalisée sur les principales plateformes et outils médiatiques, allant de l’électronique au numérique, en passant par l’acquisition des compétences traditionnelles aux métiers de design et d’art. Car le propre de la création numérique se situe sans doute dans cette interface entre l’informatique et les métiers d’art, de telle sorte que les professionnels qui ont reçu cette formation pourront être, selon la spécialité qu’ils auront choisie, reconnue comme spécialistes d’ingénierie, informatique, de réalisation multimédia ou de management culturel et médiatique, mais aussi peut être de communication visuelle, de graphisme, d’édition, de modélisation 3D, de design ou même de médiation pour les médias numériques et technologiques.
Au moment où s’opère cette révolution numérique, l’innovation et la créativité médiatique constituent les moteurs de l’économie, en même temps qu’elle bouleverse les modes de vie, les façons de penser, les échanges sociaux et même l’équilibre écologique. L’interactivité, l’intelligence artificielle, la réalité virtuelle, l’audiovisuel dit génératif et immersif ou encore le jeu vidéo constituent autant de domaines de ces dites industries créatives numériques, un écosystème à la fois d’innovation, de recherche et de design. Alors, par exemple, l’irruption du numérique a bouleversé les « gatekeepers », les médias officiels, les médias d’État, et ont élargi l’accès et l’expression publique.
D’un autre côté, cette démocratisation s’accompagne aussi d’une multiplication et d’une sophistication des plateformes médiatiques, de nouvelles dynamiques « pro-am » : professionnel / amateur s’instaurent, dans lesquelles les arts et la communication jouent un rôle cardinal de mon point de vue. Et on voit bien ici comment une expertise aux « créatives médias » pourrait se situer au cœur, au point média ou à l’interface, disons, entre recherche, ingénierie et société civile. Puisqu’en effet, les industries créatives ont cette particularité d’articuler les médias, traditionnels et contemporains, d’information et de communication à ceux de l’art et du « design creative ».
Encore une fois, cette convergence médiatique, comme dirait (Henry) Jenkins, cette écologie des nouveaux médias, dirait (Lev) Manovich, rendent évidente et précieuse le renforcement de l’expertise en « créative média ».
Alors, j’en ai déjà parlé, on peut évoquer l’intelligence artificielle, les big data, mais on pourrait parler aussi de la robotique ou des objets autonomes, de même que, plus largement, du secteur des télécommunications, de l’audiovisuel, du logiciel, de l’internet. Tous ces domaines sont en pleine croissance et en plein développement dans tous ces secteurs d’activité l’innovation numérique engendre des transformations, impulse simultanément de nouvelles dynamiques et contraintes structurelles, bousculent les savoirs et savoir-faire, mais aussi métamorphosent les identités professionnelles. Si, du point de vue du progrès technique, ces évolutions peuvent paraître vertigineuses, elles restent également incertaines concernant leurs retombées, notamment, leurs usages ou leurs effets. Or, on sait que le progrès technique se développe ou croît plus rapidement que ne se développent les usages. Et ces derniers, ce sont précisément ces derniers qui doivent être encore inventés, pensés, partagés dans un effort d’intelligence collective qui, précisément, décloisonne les domaines et les spécialités. Et au centre de ces évolutions, se pose de nouvelles questions et enjeux, utopiques comme dystopiques autour, par exemple, du « digital labor », de l’écologie, des data et de leur impact environnemental, de la surveillance, de la liberté d’expression, des droits humains, etc… On voit bien ici que, si la croissance technologique est souvent souhaitable et qu’elle doit être accompagnée, il ne faut jamais oublier que l’imaginaire et la culture technique occupent aussi une place centrale. Et le master en « creative media » aura pour tâche aussi d’investir ce pan de la réflexivité et de l’intelligence collective.
La création numérique se trouve au croisement de savoir faire qui concerne aussi bien l’image fixe animé, la photographie, la vidéo, les arts sonores, les musiques expérimentales, mais également des dimensions plus techniques ou plus nouvelles comme la réalité augmentée et la réalité virtuelle, la 3D, l’immersion, les capteurs, l’interaction en temps réel ou encore les réseaux sociaux.
Or, ces différents savoirs et savoir-faire, que l’on associe aujourd’hui aux « créative médias » ou à la créativité numérique, trouvent des applications dans de multiples domaines : le jeu vidéo, en plein essor, la musique, les arts sonores, l’art contemporain numérique, le spectacle vivant, aussi la danse, le théâtre, les arts de rue même… On peut dire qu’une des spécificités peut être de la création numérique ou des « créatives médias » et de ne pas se contraindre à une stricte définition ou à un unique domaine, mais d’exister et de se déployer, au contraire, à la croisée de ces différents univers.
Il me semble que c’est une hypothèse que j’ai souvent développée, que dans ce contexte, les artistes ou les créateurs sont appelés à jouer un rôle spécifique, un rôle cardinal et spécifique, suivant l’hypothèse, par exemple, que développait Marshall McLuhan, le philosophe « médiologue » canadien selon laquelle l’art vue, je le cite « {…} comme contre milieu ou antidote, devient plus que jamais un moyen de former la perception et le jugement ». McLuhan a parié d’une certaine façon sur le pouvoir qu’avaient les arts de devancer une évolution sociale et technologique future, quelquefois plus d’une génération à l’avance.
Il voyait dans l’art un radar, une sorte de système de détection à distance qui permettrait de révéler des phénomènes sociaux et psychologiques assez tôt pour nous y préparer. Par conséquent, si l’art est un système d’alerte préalable, comme on appelle le radar, il peut, je crois, devenir extrêmement pertinent aussi à l’étude des médias, de même qu’à la création de moyens de les maîtriser. Pour cette raison aussi, il me semble que nous avons plus que jamais besoin de créateurs et d’artistes pour agir en intelligence avec les ingénieurs et développeurs de cette industrie des créatifs médias média, car il est important de développer une réflexivité et de réaliser un pas de côté aussi, parfois susceptible d’éclairer sous un jour nouveau les effets non plus simplement techniques ou pas uniquement techniques, mais également symboliques et imaginaires de l’innovation.
J’aurai deux propositions à faire. La première serait de favoriser l’immersion et les contacts avec le milieu professionnel, les entreprises, bien sûr, les startups technologiques, les industries culturelles, mais aussi les laboratoires de recherche ou les mondes de l’art puisque dans une optique de professionnalisation, les étudiants pourraient participer à des périodes de stage qui leur permettraient d’avoir d’acquérir cette expérience professionnelle avant même d’intégrer le milieu du travail. Ce que je veux dire par là, c’est que le master gagnerait à mon sens à maintenir un équilibre indispensable entre volets académiques et professionnalisation.
Et puis une autre, peut être un autre conseil, une autre remarque que je pourrais formuler, serait de veiller à multiplier les interactions et les occasions de dialogue entre spécialités enseignées au sein de ce Master en « creative media », puisque l’approche par projet ou l’écologie du projet dont je parlais tout à l’heure doit permettre de former des créateurs polyvalents au croisement de la technologie et des arts. Pour cela, il peut être précieux, heuristiques ou, disons, vertueux de former des équipes d’étudiants, peut être par deux, par trois, en fonction de la complémentarité de leurs profils, de leurs spécialités, à savoir amener un ingénieur, un développeur, un créateur ou un médiateur, voire un manageur, à travailler ensemble dans une logique de projet, afin qu’ils s’engagent et prennent en charge toutes les phases et toutes les étapes d’une certaine manière, oui, de la réalisation créative média qui, contrairement aux formations professionnelles et techniques qui sont elles-mêmes souvent très spécialisées ou orientées vers la production d’un type précis de produits ou vers un secteur spécifique des industries culturelles l’image, le son, le multimédia… la mention « creative media » pourrait être davantage tournée vers une connaissance générale de l’ensemble de l’écosystème numérique, de tout, finalement, le domaine de la création numérique et de son contexte culturel.